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Le 1ᵉʳ novembre 1954… prise de conscience
mercredi 12 août 2020, par
J’ai 17ans, je suis interne au lycée Fromentin à Alger, c’est mon
premier retour chez moi à Azazga depuis la rentrée. Ce sont les
vacances de la Toussaint.
Lundi 1ᵉʳ novembre 1954. Il était 2h du matin, cela je viens de le lire
sinon pour moi il était tard, très tard la nuit et ma mère m’a réveillée
pour l’accompagner voir l’incendie qui s’était déclaré, incendie du
dépôt de liège situé tout en bas du village à la sortie d’Azazga, en
direction de Tizi Ouzou
Nous voilà parties… passage devant la gendarmerie, descente vers le dépôt
de liège… petit kilomètre parcouru toutes les deux à pied sous les yeux
probablement des « auteurs « ou complices de ce qui venait de se
produire et que nous ignorions totalement.
C’était impressionnant ce feu… agitation extraordinaire tout autour…
des cris, des hurlements, une foule d’hommes européens, Algériens
s’agitaient là, « ensemble », pour éteindre ce feu gigantesque… fascinant…
Retour… Dans notre salon je revois, entends, un groupe d’adultes. Les
discussions sont vives, le ton élevé. Je comprends seulement qu’il
s’est passé quelque chose de grave… des coups de feu tirés sur la
gendarmerie… Le dépôt de liège a été volontairement incendié, j’avoue
que je ne comprenais pas très bien, car je n’avais pas l’autorisation de
participer à ce débat, je ne l’ai entendu que du pas de la porte de ma chambre.
Le lendemain je me revois en balade avec tout le groupe d’adolescents
européens de mon âge et plus, les discussions sont vives. Oui c’était
l’incompréhension qu’est-ce qu’ils nous ont fait ? Pourquoi ? Alors que
nous leur avions tout donné… tout fait… construit, etc. etc. Et
maintenant ils nous attaquent. Je ne savais pas ce qui allait se passer,
je tombe des nues. Je ne comprends pas bien. Ces amis sont plus âgés que
moi, ils doivent savoir. Il n’y a qu’eux qui me parlent, je n’entends
qu’eux. C’est ce discours que je fais mien puisque c’est le seul son de
cloche que j’ai entendu. Mes parents ne me parlaient pas et encore
moins de politique. Je suis repartie rapidement au lycée Fromentin où
j’étais interne au milieu de filles de Colons à 90 % donc tout ce que
j’ai entendu à ce moment-là au lycée était du même acabit en plus
radical : il fallait tous les tuer. J’ai vécu jusqu’aux vacances de
Noël dans cette ambiance-là.
Au cours des vacances de Noël et d’un repas en famille auquel
participait notre médecin le docteur Oussedik Nour la discussion est
venue à propos des « événements » comme on disait et j’ai sorti mon
discours… bien entendu. À ce moment-là je revois le docteur se lever
me prendre par le collet, m’emmener dans une pièce, refermer la porte.
Il m’a assise, s’est assis face à moi et tranquillement les yeux dans
les yeux s’est mis à parler, à me parler, à m’expliquer ce que je savais
ce que j’avais vu, compris inconsciemment, qui était enfoui en moi… tout
s’est éclairé. J’ai regagné sans un mot la table familiale, apaisée.
Jamais je ne remercierai assez ce médecin que j’estimais énormément de
m’avoir considérée, de m’avoir expliqué, ouvert les yeux.
Ensuite je ne peux pas dire que je me sois exprimée beaucoup mais chaque
fois que cela m’a été possible j’ai redressé les discours, j’ai donné
mon opinion
C’est à partir de là que ma conscience politique s’est éveillée, j’ai
compris de quel côté j’étais… ce pour lequel j’allais avec mes petits
actes modestes œuvrer… c’est-à-dire ce que je souhaitais de tout cœur
pour les Algériens, l’Algérie : l’indépendance, la LIBERTÉ.
Le 11/08/2020
Danièle Malley Champeaux
A lire :
ndlr
La Toussaint rouge, parfois appelée Toussaint sanglante, est le nom donné en France à la journée du 1er novembre 1954, durant laquelle le Front de libération nationale (FLN) manifeste pour la première fois son existence en commettant une série d’attentats en plusieurs endroits du territoire algérien, à l’époque sous administration française. Cette journée est rétrospectivement considérée comme le début de la guerre d’Algérie (1954-1962) et elle est devenue une fête nationale en Algérie
Messages
1. Le 1ᵉʳ novembre 1954… prise de conscience , 14 août 2020, 15:38, par Tanguy
Le 1ᵉʳ novembre 1954… prise de conscience
Impressionnant cette « prise de conscience » à 17 ans !
Tout au début de la guerre d’Algérie…
Cordialement
Tanguy
2. Le 1ᵉʳ novembre 1954… prise de conscience , 16 août 2020, 14:05, par robert
Le 1ᵉʳ novembre 1954… prise de conscience
oui, entièrement d’accord
à voir avec le nombre d’appelés qui avait cette « conscience »
Robert
3. Le 1ᵉʳ novembre 1954… prise de conscience , 9 octobre 2020, 11:41, par Xavier Jacquey
Très beau ce témoignage ! Un grand merci Danièle.